
Thuram : Lilian le militant
Rencontré à Rio de Janeiro, Lilian Thuram évoque ici sa fondation et pose son regard sur le Brésil, pays hôte de la prochaine Coupe du monde, à moins de 90 jours du début de la compétition.
- 18 mars 2014
- Posté dans Brasil 2014
Il ne faut plus compter sur lui pour parler foot. Mais dès qu’il faut évoquer son combat, Lilian Thuram est intarissable. A travers sa fondation, créée en 2008, l’année de sa retraite sportive, le champion du monde 98 milite pour réduire les discriminations avec pour leitmotiv de s’appuyer sur l’éducation pour combattre le racisme. Invité par le Musée d’Art de Rio, dans le cadre du programme culturel « Afrique aujourd’hui », le Guadeloupéen a multiplié les rencontres et les conférences pour évoquer son combat. Rencontre…
Lilian, en quoi consiste votre fondation ? Quel est son rôle ?
L’idée est de réfléchir ensemble sur les conditionnements qui sont les nôtres et qui nous amènent à reproduire souvent les hiérarchies du passé, la plus ancienne de notre société étant celle entre les hommes et les femmes, ce qui donne aujourd’hui le sexisme. Le racisme, c’est la hiérarchie entre les personnes selon leur couleur de peau. Cela a donné par exemple l’idéologie durant l’esclavage, la colonisation, la ségrégation aux Etats-Unis, ou encore l’Apartheid. Il faut comprendre que ces hiérarchies ont une histoire et étaient apprises dans les écoles. Par exemple, on apprenait aux enfants que la race la plus parfaite était la race blanche et je crois que ce sont ces notions qu’on doit déconstruire en expliquant notamment aux enfants d’aujourd’hui qu’il n’y pas plusieurs races, mais une seule, la race humaine, et que les couleurs de peau différentes sont dues justement au fait que l’Homo Sapiens s’est adapté aux différents climats.
Pourquoi avoir choisi le Brésil ?
J’ai répondu à une invitation. J’étais il n’y a pas si longtemps en Equateur, puis aux Etats-Unis. Si je suis ici au Brésil, c’est parce que j’ai été invité par le MAR et dans deux semaines, je serai au Maroc. Ce sont à chaque fois des personnes qui se rapprochent de la fondation pour que l’on puisse discuter ensemble au sein de leur propre pays pour essayer d’aborder le sujet d’une façon différente. Parce qu’encore une fois, je crois que beaucoup de personnes ont du mal à parler du racisme en pensant que c’est quelque chose de tabou. Le racisme, comme le sexisme et l’homophobie est lié à notre propre culture qui est basée sur des habitudes qu’il faut questionner.
Plusieurs cas de racisme ont été signalés récemment sur les terrains brésiliens, ça vous étonne ?
Ce que j’essaie d’expliquer, c’est que le racisme qui existe dans le football, c’est avant tout le racisme qui existe dans la société. On a toujours tendance à penser que le football serait un monde à lui tout seul, alors que non. Le racisme dans la société est le plus violent, parfois invisible, celui du football est très visible et il faut l’analyser pour l’éradiquer. Il y a aussi beaucoup d’hypocrisie autour du racisme, comme il y en a autour du sexisme et de l’homophobie. Dans le football, ce sont avant tout les joueurs qui ne subissent pas le racisme qui peuvent faire changer les choses. Mais l’hypocrisie veut qu’on aille toujours interroger les personnes qui subissent le racisme tandis que les autres ne se positionnent pas. Si un jour ces derniers décident de quitter eux le terrain, je pense que les choses évolueront très rapidement.
Nous sommes à moins de 90 jours de la Coupe du Monde, qu’est-ce que vous attendez de cette compétition qui n’est pas accueillie favorablement par une partie de la population ?
Ce serait intéressant qu’on puisse remettre les choses à leur juste valeur. Ce sont les Brésiliens eux-mêmes qui vont décider où est cette juste valeur en dénonçant, ou en adhérant à cette Coupe du Monde. Je ne sais pas ce qui se passera durant la compétition, si ce sera comme lors de la Coupe des Confédérations où les personnes sont descendues dans la rue en demandant plus de santé et d’éducation au lieu de stades de football. En tant qu’ancien joueur, j’espère tout de même que ce sera une belle Coupe du Monde parce que le Brésil représente énormément de choses dans ce sport et j’espère que l’équipe de France pourra avoir un grand parcours durant la compétition.
Propos recueillis par Eric FROSIO, notre correspondant permanent au Brésil, à Rio de Janeiro