
Coupe du monde : Pourquoi les Brésiliens ne veulent pas que le Brésil gagne la Copa ?
Enorme paradoxe au pays de Pelé : tous les Brésiliens supportent la Seleçao mais ne souhaitent pas que le Brésil remporte la Coupe du monde. Confidences et témoignages.
- 27 juin 2014
- Posté dans Brasil 2014
Des volontaires qui vous accueillent à l’aéroport de Rio ou aux portes d’entrées du Maracana, aux serveurs des churascaria en passant par les chauffeurs de taxi, tous sont unanimes : ce n’est pas la Coupe du monde qu’ils « rêvaient ». « C’est la Coupe du monde de la FIFA, pas celle du Brésil ! assène Claudio un quadra qui ne va pas au stade, car les billets sont trop chers. « Ici, personne ne profite vraiment de l’événement, on voit cette Copa comme une machine à gaspi, une vitrine pour Dilma Rousseff, notre présidente, qui se représente aux prochaines élections. »
Un avis partagé par Norberto, un carioca du quartier de Cosmo Velho, qui promène les touristes dans sa veille Wolskwagen pétaradante sur le chemin sinueux du Corcovado depuis près de 50 ans. Né en 1934, Norberto, supporter du Vasco Gama, n’est pas aussi virulent dans ses propos mais lui non plus ne souhaite pas que le Brésil remporte cette Coupe du monde de la « corruption ».
Comme une vieille chanson que l’on écouterait en boucle même à Ipanema…
« Tous les Brésiliens sont dégoûtés par les millions de reals (la monnaie ici) engloutis, gaspillés par l’organisation de ce Mondial et des Olympiades qui vont suivre dans deux ans. Allez faire un tour dans les hôpitaux ici, vous verrez, le malaise est criant ! » Dans un autre quartier de Rio, à Ipanema où les gens se promènent en bikini et havainas, le même sentiment ambivalent transpire près du posto (bloc) 8, comme une vieille chanson que l’on écouterait en boucle quel que soit le jour de la semaine. « La Coupe du monde, ce qu’elle m’apporte ? interroge Paolo, socio du Fluminense. Pas grand chose, vraiment. J’espèrais augmenter mes courses de taxi de 50%, mais je ne gagne que 15% de mon chiffre. Bientôt il va y avoir le festival Rock in Rio, et sur une semaine, je sais que je vais faire davantage que sur le mois de la Copa. Après, comme tous les Brésiliens, je suis révolté par le gaspillage de cet événement mais j’écoute quand même les matches à la radio. On a ça dans le sang. »
On laisse Ipanema dans notre dos pour prendre la route de Rocinha « la meilleure favela du monde » jure Leo. Même ici dans ce quartier populaire, on ne veut pas que le Brésil lève le trophée le 13 juillet prochain. « On ne veut plus de Dilma, donc on espère que le Brésil ne gagnera pas, car sinon notre « président » va surfer sur ce succès pour les prochaines élections. Ici, tout est corrompu, et les manques sont importants : la santé, l’éducation, les transports, tout est cher et désuet. »
« Sans Neymar, la Séleçao est une équipe moyenne »
En 2009, le ticket de bus valait 2,20 réals. En 2014, il faut débourser 3 reals (soit 1 euro) pour un trajet. « C’est muito caro, explique Alejandre. Et ne parlons même pas du prix des billets pour aller au Maracana. Ce sont les Américains et les étrangers qui ont « tout acheté ».
Samedi, face au Chili, la Seleçao a la pression : ses supporters seront derrière elle mais savent aussi que sans Neymar, l’équipe de Felipao Scolari est moyenne. « Nous, ici, au Brésil on aime le beau jeu. On aime Messi, on aime Neymar, on aime les « génies » mais notre équipe ne nous fait pas rêver. Et puis, on se demande si tout n’est déjà pas arrangé ? soupçonne José Carlos. On verra bien contre le Chili si cette Coupe n’a pas été créée de toute pièce par et pour le business. »
Une Copa…libertadores spectaculaire !
De l’Europe, depuis l’élimination de « grandes nations » comme l’Espagne (champions du monde en titre), l’Italie (donné comme outsider), l’Angleterre et le Portugal (le pays ami ici), cette XXe Coupe du monde, elle, est vue comme une… Copa Libertadores spectaculaire, taillée sur mesure pour les pays sud américains tous qualifiés pour les huitièmes de finale, exceptés le Honduras et l’Equateur. Les deux équipes du groupe de la… France, perçue ici au Brésil comme un autre candidat à la… victoire finale. Entre élections et sélections, on saura bientôt si les enjeux ont pris le pas sur le jeu le plus populaire au monde. Ou pas…
Par Olivier SCHWOB, envoyé spécial à Rio de Janeiro, au Brésil