
Euro 2016 : c’est la Zone
Chaque semaine Jean-Pierre Frankenhuis pose son regard amusé sur l’actualité d’un ballon qui ne tourne pas toujours rond.
- 22 avril 2016
- Posté dans Le clin d'oeil
Il y avait des morts et des blessés un peu partout. Les hélicoptères passaient et repassaient, les ambulances se succédaient, une dizaine au moins de véhicules de pompiers étaient sur les lieux, des membres du GIGN ou du RAID ou du BRI s’avançaient avec prudence sous la pluie, armes tendues, lunettes de nuit les transformant en robots du futur à la recherche de terroristes.
Puis les morts et les blessés rentrèrent tranquillement chez eux, les hélicoptères, ambulances et véhicules de pompiers se turent, les membres du GIGN / RAID / BRI se réunirent pour faire le point et les Ministres présents hochèrent la tête, satisfaits d’un exercice dont le but était de tester tout le dispositif après un hypothétique attentat à la Fan Zone de Bordeaux. Après l’attentat. Pas avant. Mais le dispositif “avant” est sans doute en cours, lui aussi, mais de façon plus discrète.
Évidemment, pour cet exercice, il manquait 40 ou 50 mille personnes dans un espace bourré à craquer et qui, grandeur nature, seraient certainement pris de panique tout de suite après l’attentat, ce qui compliquerait de manière considérable la tâche des intervenants. Mais ce n’est pas viable de les faire venir ni d’essayer de les “mettre en scène”. On a donc fait comme si.
Il manquait aussi les foules se pressant autour des points d’accès en attendant de pénétrer dans l’enceinte, là où justement rien ni personne n’a encore été vérifié par les agents de sécurité. Mais il s’agit, à nouveau, de “l’avant”, ce qui n’était pas l’objectif avoué de l’exercice.
Et il manquait surtout la question majeure : pourquoi, en fait, maintenir une Fan Zone dans le climat actuel de danger et de menace ? Pour quelle raison fournir le bâton pour, peut-être, se faire battre ?
Le premier argument, politiquement correct, est de dire, petite larme pointant au coin de l’œil, qu’il ne faut surtout pas “leur” donner l’impression qu'”ils” ont gagné. Ce qui, si l’on veut, est une thèse soutenable pour un événement classique du calendrier comme le Marathon, le Tour de France ou l’Euro lui-même. Mais la Fan Zone est une exigence purement commerciale du cahier des charges de l’UEFA pour une ville-hôte, un lieu annexe, créé pour satisfaire les “sponsors” et où une population s’assemble en masse comme s’ils étaient au stade, tout en consommant autant que possible. Ce n’est certainement pas un maillon indispensable pour le fonctionnement de l’Euro. Mais ça rapporte. “Ils” n’auront pas ‘gagné’, l’UEFA et ses “sponsors” oui. En créant un risque inutile pour quelques dizaines de milliers de personnes.
Ce risque existe de toute façon, bien entendu. Au stade. Dans les “pubs” et leurs abords. Dans les moyens de transport. Dans les lieux publics où se trouvent visiteurs et population locale. Comme on l’a vu à Paris ou à Bruxelles. Mais est-ce vraiment raisonnable, pour des motifs strictement mercantiles de créer de toutes pièces un épicentre aussi périlleux ?
Bien entendu, si rien ne se passe, ce que tout le monde souhaite, on me taxera d’oiseau de mauvais augure, d’empêcheur de tourner en rond. On triomphera en soulignant le succès populaire de la Fan Zone, l’apport significatif qu’elle a eu pour l’image de la Ville et puis, dans le recoin feutré de son bureau, on poussera un “ouf” discret de soulagement. Et moi aussi.
Franchement, je préfère de loin avoir complètement tort. Et vous, qu’en pensez-vous ?