
Petites annonces
Chaque semaine Jean-Pierre Frankenhuis pose son regard amusé sur l’actualité d’un ballon qui ne tourne pas toujours rond.
- 29 avril 2016
- Posté dans Le clin d'oeil
“Cherche personne hautement qualifiée pour travail à temps complet pendant deux mois sur manifestation sportive. Cinq jours par semaine, pouvant inclure week-ends. Huit heures par jour sur créneau de 8:00 à 23:00. Repas et uniforme fournis, mais ni transport ni logement. Une seule journée de formation. Anglais impératif. Pas d’accès à la manifestation elle-même. Aucune rémunération.”
Il s’agit, bien entendu, de l’Euro 2016 pour lequel l’UEFA s’attend à toucher 1,9 milliard d’Euros de recettes. Sans payer d’impôts, de par ses accords avec le pays hôte. Et dégageant un profit de 1,5 milliard d’Euros, après déduction de 400 millions d’Euros de dépenses et frais d’organisation.
L’appel à volontaires, dont certaines missions requièrent des professionnels ou, du moins, des gens très expérimentés, est hypocritement présenté dans des habits patriotiques ou dans des tons qui pincent les cordes de l’affectif. On pourra raconter à ses éventuels petits-enfants que “j’y étais”, même si on n’a pas le droit de regarder les matches. (Comme disait Molière, couvrez ce ceint que je ne saurais voir). Ou, pour ceux qui sont fiers de leur sens civique (lancer la Marseillaise), ils pourront se dire que l’on aura “contribué au succès de l’événement et à l’image positive de notre pays dans le monde”. À propos, la Marseillaise étant dans le domaine publique elle ne coûtera rien. Ouf, on respire ! Ou encore, pour les férus d’équitable/solidaire, ils pourront être modestement fiers d’avoir “donné de soi et participé au rapprochement entre les peuples”. Ce qui, évidemment, n’a pas de prix.
Toutes les missions pour volontaires n’ont pas cet aspect d’exploitation déguisée en grande faveur que l’on vous concède, en privilège qu’on vous accorde à faire pâlir d’envie vos voisins. Pour la plupart ce sont des taches demandant une présence ponctuelle et des expériences limitées, de quoi satisfaire l’un des critères cités plus haut. Ou alors elles sont faites pour des retraités cherchant une occupation (même s’il y a des relents de discrimination par l’âge car il vaut mieux être retraité récent).
Mais ce n’est pas la même situation, par exemple, pour les 50 responsables des “Accréditations” ou les 52 chauffeurs du service “Transports” ou les 40 informaticiens du service “Technologie de l’Information et de la Communication (ICT)”. Prenons justement l’ICT. Pour les 40 volontaires requis à Bordeaux, parlant au moins Français et Anglais, cela débute le 16 Mai et se termine le 4 Juillet, soit un peu moins de 2 mois. La fonction requiert “de l’expérience en actions de support à l’utilisateur informatique” et “une solide connaissance de technologie et d’infrastructure de l’information”, d’autant plus qu’il y aura peut-être à intervenir sur le système qui, lui, a été développé au siège. Il faut donc “des personnes de confiance face aux soucis de sécurité liés à l’accès à l’infrastructure du système”. Et ayant “de bonnes manières et une bonne présentation eu égard à l’interactivité avec l’utilisateur”. Et, bien sûr, aucune rémunération.
Faisons un rapide calcul. Pour les 400 volontaires en ICT en France, très compétents en informatique, aux profils d’Adonis et avec un comportement à l’opposé d’Anji Gupta au centre d’appel délocalisé en Inde (“Je vous passe mon superviseur.”), en les payant le SMIC pendant deux mois cela coûterait €1 200 000, soit 0,06 % des recettes prévues. Ce qui, pour le niveau de compétence et de professionnalisme recherché, est une misère. Mais, bien sûr, c’est plus cher que zéro, alors qu’on a pu “s’investir”, ou “donner de soi” et ladadi ladada…
Est-ce cela qu’ils entendent à Nyon par le fameux “Fair Play Financier” ?