
L’intérêt national
Chaque semaine Jean-Pierre Frankenhuis pose son regard amusé sur l’actualité d’un ballon qui ne tourne pas toujours rond.
- 10 juin 2016
- Posté dans Le clin d'oeil
Définition : Un préfet est un haut fonctionnaire nommé par décret du Président de la République, chargé de représenter le pouvoir exécutif dans le département ou la région qu’il administre. Figurent parmi ses principales fonctions la représentation de l’État, la charge des intérêts nationaux et du respect des lois, et le maintien de l’ordre public.
Or donc, le Préfet de police de Paris a tenté d’obtenir la fermeture de la Fan Zone du Champ-de-Mars les jours de match de l’Euro mettant en avant les menaces terroristes pesant sur l’événement et “l’état d’épuisement avancé” des forces de l’ordre. Il a aussi souligné le danger que présentent les confrontations entre certains “supporters” lors de ces rencontres.
Ah ! j’avais oublié : le Préfet est placé sous l’autorité du Ministre de l’Intérieur. Qui a donné une fin de non-recevoir à la demande, puis a “renforcé les effectifs qui seront mis à la disposition du Préfet” et a justifié le maintien des Fan Zones devant une commission parlementaire avec l’habituel argument que “si, sous prétexte que la menace est élevée nous cédons à la menace…nous organisons la victoire des terroristes”.
Un non sequitur : on lève fièrement l’étendard du courage et de la résistance aux méchants, arguments recevables certes, mais tout cela à propos d’une foire à la bière, d’un salon de “sponsors” imposé en parallèle à la tenue de la compétition qui, elle, effectivement ne doit pas céder à la pression (sans jeu de mots).
En fait le McDo-Coca servi à côté du magasin Adidas ou du comptoir Carlsberg n’a strictement rien à voir avec la compétition sportive ou la préservation “des intérêts nationaux” de la France jouant contre la Roumanie dans un SdF plein à craquer. Là c’est l’UEFA, l’Union Efficace des Faiseurs d’Argent, qui prend le pas sur les considérations de sécurité nationale en exerçant un chantage – oui pour recevoir des matches mais pas sans Fan Zone – chantage basé sur des rêves de revenus souvent fantaisistes. Demandez, donc, aux dirigeants de Nantes, ville hôte de la Coupe de ’98, ce qu’ils en ont vraiment tiré. Ou demandez à ceux de Strasbourg pourquoi, tout comme Nantes aujourd’hui pour l’Euro, ils n’ont pas voulu de la Coupe en ’98.
Plus au fond : bravo, on applaudit le “je maintiendrai la Coupe…” mais est-ce vraiment assumer l’intérêt national et le respect des lois que de chercher à maintenir l’ordre public dans une foire “marketing” pour 50 000 personnes artificiellement posée en plein centre de la ville, avec des nuisances inconsidérées pour des centaines ou milliers de riverains et le risque que certains “supporters” viennent saccager les environs ? Bagarres, bouteilles cassées, atteinte à la propriété, transports en commun vandalisés et mise à l’épreuve des forces de l’ordre déjà bien tendues. Et tout cela en accroissant l’exposition au risque terroriste pendant un mois…
En fin de compte c’est dommage que les réels efforts et les sacrifices de ces gardiens de l’ordre public ne servent qu’à se souvenir que Kia roule sur pneus Continental ou qu’à favoriser des mouvements de foule à visées mercantiles. Est-ce vraiment cet à-côté de la fête qu’il faut protéger quels qu’en soient le coût et le risque afin de ne pas “organiser la victoire des terroristes” ?